- SADRA SHIRAZI
- SADRA SHIRAZIPar l’enseignement qu’il revint donner dans sa ville natale, プadr al-d 稜n Mu ムammad ibn Ibr h 稜m, connu plus couramment sous le nom de Moll プadr -i Sh 稜r z 稜 (ou Moll プadr Sh 稜r z 稜), est à l’origine d’une école philosophique, l’école de Sh 稜r z (Iran), qu’ont révélée les travaux d’Henry Corbin. L’œuvre de Moll プadr est immense. Éditée intégralement, en Iran, depuis le siècle dernier, on commence à en percevoir les lignes de force et à y découvrir la marque d’un très grand métaphysicien autant que d’un mystique pur. Toute cette œuvre se situe, d’ailleurs, dans l’axe de la tradition des ishr q 稜yy n , les «néo-platoniciens de la Perse islamique» (Corbin), tradition issue de Sohraward 稜, qui développe une conception de la connaissance comme présence illuminative, à l’Orient de l’âme, c’est-à-dire au niveau suprasensible; cette «Sagesse orientale» a sans cesse cherché à unir la méthode des ル f 稜s, des mystiques, c’est-à-dire la voie de la purification intérieure, et la méthode des philosophes, c’est-à-dire la voie de la connaissance pure. De cette tradition Moll プadr garde l’héritage, mais il va le restituer dans le cadre strict de la spiritualité sh 稜‘ite la plus exigeante.La formation et l’œuvreNé à Sh 稜r z en 1572 (980 de l’hégire), face="EU Dodot" プadr al-d 稜n Mu ムammad ibn Ibr h 稜m fit ses études à Ispahan, la capitale politique et intellectuelle de la monarchie ルafavide. Il eut pour maîtres shaykh Bah ’ al-d 稜n al-‘ mili, qui, fort de la connaissance profonde qu’il en avait, lui enseigna les sciences du corpus islamique traditionnel, et M 稜r D m d, que ses élèves appelaient le magister tertius (la tradition ayant surnommé Aristote magister primus et al-F r b 稜 magister secundus ) et dont l’enseignement liait étroitement vie spirituelle et expérience mystique à la philosophie proprement dite; le troisième maître de プadr fut M 稜r Ab l-Q sim Fenderesk 稜 (mort à Ispahan en 1640), qui fut étroitement lié à l’entreprise de traduction des traités sanskrits en persan, à une époque d’échanges intellectuels considérables entre l’Iran et l’Inde.プadr fait ensuite une retraite d’une dizaine d’années dans une petite vallée montagneuse aux environs de Qomm, oasis de verdure et d’arbres en bordure du désert. Cette retraite représente le moment capital, où la philosophie va se transmuer en expérience spirituelle, qui est en réalité le véritable point de départ.«Lorsque j’eus persisté, écrit le philosophe, dans cette étape de retraite, d’incognito et de séparation du monde, pendant un temps prolongé, voici qu’à la longue mon effort intérieur porta mon âme à l’incandescence; par mes exercices spirituels répétés, mon cœur fut embrasé de hautes flammes [...]. Je connus des secrets divins que je n’avais encore jamais compris; des énigmes chiffrées se dévoilèrent à moi, comme n’avait jamais pu jusqu’alors me les dévoiler aucune argumentation rationnelle. Ou mieux dit: tous les secrets métaphysiques que j’avais connus jusqu’alors par démonstration rationnelle, voici que maintenant j’en avais la perception intuitive, la vision directe» (prologue des Quatre Voyages de l’esprit , trad. Corbin).À l’issue de cette retraite, sur la demande d’All hw 稜rd 稜 kh n, le gouverneur du F rs, Moll プadr revint à Sh 稜r z, son pays natal, pour y enseigner dans la madrasa , le collège religieux qui venait d’être édifié à son intention. Il y demeura jusqu’à sa mort: c’est cet enseignement qui est à l’origine de l’école philosophique de Sh 稜r z, connue aujourd’hui par les travaux d’Henry Corbin, dont on suivra ici les commentaires.Relevant à la fois d’une haute métaphysique et de la mystique la plus pure, l’œuvre de Moll プadr se situe dans la tradition de Sohraward 稜 et tend à unir, en les reprenant dans le cadre de la spiritualité sh 稜‘ite, la voie des ル f 稜s et celle des philosophes. Elle couvre donc l’ensemble des disciplines de la philosophie et de la théologie de l’islam sh 稜‘ite. Elle comprend un Tafs 稜r , commentaire d’un certain nombre de sourates coraniques, dont le verset du Trône ( y t al-Kurs 稜 ) et le verset de la Lumière ( y t al-N r ); un commentaire, inachevé, des U ル l («Sources») du K f 稜 de Kolayn 稜, ouvrage fondamental pour le sh 稜‘isme duodécimain, en particulier pour tout ce qui concerne les ムad 稜th des Im ms: «Ce commentaire [...] est un monument de la pensée sh 稜‘ite. Tout ce qui fait l’essence du sh 稜‘isme: la prophétologie et la gnoséologie prophétique, l’im mologie et la wal yat comme charisme des Im ms, la fonction initiatique de l’Im m [...], tout cela est mis en œuvre par un philosophe qui ne perd jamais de vue la portée spirituelle de l’enseignement des Im ms» (Corbin). Moll プadr a laissé, enfin, la somme qui rassemble le bilan de tous ses travaux, recherches et méditations: Les Quatre Voyages de l’esprit (Kit b al-asf r al-arba‘a al-‘aql 稜ya ); dans l’édition lithographiée, elle ne comprenait pas moins de mille pages in-folio; c’est principalement cet ouvrage qui a inspiré, de génération en génération, jusqu’à nos jours, la suite ininterrompue des commentateurs.Une métaphysique de l’acte d’existerL’esquisse de bibliographie consacrée à プadr Sh 稜r z 稜 par Henry Corbin comporte en tout quarante-deux titres, plus onze ouvrages d’attribution incertaine. Deux ouvrages peuvent aider à situer d’emblée Moll プadr comme philosophe: un commentaire d’Avicenne (Gloses sur la métaphysique du Sh 稜f d’Avicenne ) et un commentaire de Sohraward 稜 (Gloses sur le Livre de la théosophie orientale de Sohraward 稜 ). À l’influence de ces deux maîtres il faut ajouter également celle d’Ibn ‘Arab 稜. Mais, qu’il lise Avicenne ou Sohraward 稜, Moll プadr inverse la visée traditionnelle d’une métaphysique qui affirmait la primauté de l’essence par rapport à l’existence. À l’encontre de la métaphysique des essences héritée d’al-F r b 稜 et d’Avicenne, il pose une métaphysique de l’être, à l’intérieur de laquelle aucune essence ne sera déterminée indépendamment de son acte d’exister. C’est cette primauté de l’acte d’exister sur la quiddité, sur l’essence, qui commande toute la structure du système.Déterminée par son acte d’être (wuj d ), l’essence, en effet, ne saurait être immuable; elle connaît même des périodes d’intensification et des périodes d’affaiblissement. L’univers de Moll プadr est un univers où les essences ne cessent de se transformer, traversant toute une série de métamorphoses; par opposition à l’univers traditionnel des essences immuables, il révèle une mobilité, une «in-quiétude» fondamentale de l’être. Il est ainsi un monde en transformation, mais aussi «en ascension». Les étapes mêmes de cette ascension coïncident avec des plans d’univers bien définis. Il y a d’abord un «élan ascensionnel» depuis les éléments et les minéraux, élan qui s’épanouit dans l’homme, tel qu’il existe sous sa forme terrestre. Mais l’être humain lui-même n’est qu’un «seuil», à partir duquel cette ascension du monde va se poursuivre, à travers lequel elle atteindra à des formes supérieures, dans d’autres plans d’univers.L’homme étant constitué, selon l’anthropologie traditionnelle, par le corps, l’âme et l’esprit, son ascension se fera à trois niveaux d’univers: ce monde-ci, l’intermonde, l’outre-monde. Si la naissance est « résurrection » de l’homme au monde sensible, la mort est une deuxième résurrection, la résurrection mineure, à l’intermonde de l’âme. Mais la véritable résurrection, c’est la résurrection majeure, la naissance à l’outre-monde, laquelle donne accès à un plan d’univers qui est celui de l’homme psychique, spirituel. En ce sens, la métaphysique de Moll プadr est liée très étroitement au thème de la résurrection, comme elle l’est, d’autre part, à une philosophie de la perception imaginative; en effet, les trois organes de la connaissance: les sens, l’imagination, l’intellect, correspondent très exactement à la triade anthropologique «qui règle la triple croissance de l’homme depuis ce monde-ci jusqu’aux autres mondes». L’imagination est ainsi un des organes non seulement de la connaissance, mais de la perception, d’une perception exactement adéquate au monde qui lui est propre. Moll プadr est d’ailleurs le premier à avoir fait de l’imagination une faculté non organique, purement spirituelle. On retrouve ici son option métaphysique: la coïncidence de l’exister et de l’essence implique rigoureusement l’unité du sujet de la perception et de l’objet de la perception, à chacun des trois degrés de la triade.Présence, témoignage et im size=5mologie.La notion d’existence (wuj d ) prend tout son sens dans la notion de présence (hu ボ r ). La présence est ce qui caractérise l’existence humaine. «Plus intense est le degré de présence, plus intense est l’acte d’exister» (Corbin), à savoir l’acte d’exister «pour au-delà de la mort». Toute la métaphysique de l’être est centrée sur l’équivalence suivante: le degré d’être, c’est-à-dire le degré d’exister, est fonction du degré de présence, de présence à soi-même; car cette présence ne doit pas se comprendre par rapport à ce monde-ci, mais par rapport aux mondes au-delà de la mort.La «métaphysique de la présence» implique ainsi une métaphysique du témoignage. Être présent, c’est être témoin, sh ihd , c’est-à-dire qui est présent à une chose, mais aussi et par conséquent celui par qui elle est présente. On voit ainsi comment la notion de présence, qui est absolument solidaire de la métaphysique, va impliquer l’im mologie: chaque Im m assume en effet cette ambivalence du témoin, étant témoin de Dieu, présent à Dieu, celui par qui Dieu est présent aux autres et celui par qui les autres sont présents à Dieu. Cette double présence de l’Im m, qui fait de lui le Sage de Dieu en même temps que sagesse («unification du sujet connaissant et de l’objet connu»), devient par suite, dans le fidèle qui médite l’Im m et en qui l’Im m se rend présent, une connaissance agissante, la preuve intérieure, «la conscience active dans l’homme». L’Im m est ainsi témoin et guide intérieur pour le fidèle, en même temps qu’il est le témoin que Dieu regarde et par qui Il regarde: «C’est par son Im m intérieur qu’Il connaît son fidèle [...]. La métaphysique ishr q 稜 de la Présence culmine en une métaphysique de l’Im mat comme Présence divine à l’homme présent à son Im m; les Im ms, comme Témoins, sont cette Présence.» On voit du même coup comment l’im mologie sh 稜‘ite situe d’emblée les Im ms sur le plan métaphysique qui est le leur, indépendamment de toute perspective historique, perspective qui demeure en ce domaine sans intérêt.
Encyclopédie Universelle. 2012.